Une brève comparaison entre deux présidents

Dr Charlot

J'ai lu avec grand intérêt ton article paru sur ton blogue récemment, établissant une saisissante comparaison entre le président Léon Dumarsais Estimé et le président Jovenel Moïse. Je crois qu’il est tout à fait normal que je t’apporte ma plus vive appréciation. Et puisque la pensée du jour se termine sous une forme interrogative, c’est donc, dans une certaine mesure, une véritable invitation aux lecteurs d’apporter leur grain de sel ; alors j’y souscris volontiers dans la même veine.

  1. 1) Des hommes de banane

Le président Léon Dumarsais Estimé et le président Jovenel Moïse sont deux hommes de banane à leur façon. En effet, la Compagnie McDonald qui exploitait la figue-banane sous la présidence d’Antoine Simon, a été nationalisée par le président Estimé. Une rare audace face à l’Oncle Sam. La Compagnie Standard Fruit en a pris la relève. Malheureusement, des opportunistes en ont profité pour se remplir les poches, au mépris des principes et des règlements du Commerce international. Le résultat ne s’est pas fait attendre. La Compagnie a fait faillite très rapidement.

    Quant au président Jovenel Moïse, il administrait, avant d’être président, une plantation de banane d’un millier d’hectares de terre à Trou-du-Nord. L’avenir de la région semblait assuré. Et pourtant, le 2 décembre 2015, l’historien et économiste Leslie Péan écrit : « L’ancien président du Sénat, Simon Dieuseul Desras, dont le prestige moral ne fait aucun doute, a réitéré les déclarations faites à l’émission Ramassé de Radio Caraïbes trois jours auparavant : « Les États-Unis d’Amérique qui prétendent combattre le trafic de la drogue, projettent d’installer au Palais national un trafiquant notoire, puisque dans les champs de banane de Jovenel Moïse dans le Nord ’Est, il y a une piste d’atterrissage pour organiser le trafic, et la DEA peut s’y rendre maintenant pour confirmer mes dires. » Depuis cette fracassante déclaration, cette vaste plantation de banane de la Compagnie AGRITRANS, est laissée à l’abandon.

  1. 2) Scandale financier

Les deux présidents sont mêlés à un scandale financier. L’Exposition internationale, tenue en 1949 à Port-au-Prince, a été estimée à 4 millions de dollars américains. Elle coutera 26 millions. 10 millions échappent à toute justification. Un tour de passe-passe du milieu financier comme à l’accoutumée ? Une malversation du côté des contracteurs ? Qui sait ?

         Le président Moïse lui, est accusé dans le scandale de Petro-Caribe. Et ce dossier n’est pas clos. Mais qu’on se souvienne du Procès de la Consolidation, à l’instigation du président Nord Alexis en 1904. Certains des accusés avaient pris la fuite avant le procès. Trois d’entre eux, jugés et condamnés par contumace à 15 ans de travaux forcés, reviendront dans le pays pour être élus présidents de la République : Vilbrun Guillaume Sam, Tancrède Auguste et Cincinnatus Leconte. Donc pour le procès de Petro-Caribe, qui vivra verra.

  1. 3) Changement de Constitution

L’article 31 de la Constitution de 1946 interdisait la prolongation du mandat présidentiel. Cette disposition constitutionnelle assurait l’alternance politique tout en réduisant le pouvoir du président. Néanmoins, le président Estimé a voulu changer la Constitution, vers la fin de son mandat, comme le président Jovenel Moïse. Les deux ont trouvé la mort avant d’atteindre leur but.

  1. 4) Destins tragiques

Si le président Dumarsais Estimé est mort en exil à l’âge de 53 ans seulement, son épouse bien-aimée, une très Grande Dame, pleine de dignité et de grandeur d’âme : Madame Lucienne Heurtelou, a été tuée par des scélérats, comme le président Jovenel Moïse.

  1. 5) Deux pages bien distinctes de notre histoire nationale

La première page est écrite 3 ans après l’élection de l’homme des Verrettes : le président Léon Dumarsais Estimé. Elle brille de toute sa splendeur jusqu’à nos jours. À côté de la réduction de la dette nationale, l’augmentation du salaire minimum, et la dynamisation du secteur touristique, l’Exposition internationale du bicentenaire de Port-au-Prince en 1949, restera à jamais gravée dans la mémoire collective du peuple haïtien. La Capitale d’Haïti était devenue comme par enchantement pendant près de six mois, le centre d’attraction du monde entier au niveau culturel. Les Étoiles comme Miles Davis, les chanteurs de la Scala de Milan, le grand Opéra national de New York, Celia Cruz, Daniel Santos et de bien d’autres ont illuminé le ciel de Port-au-Prince par leurs vifs éclats.

  1. 6) Le président Léon Dumarsais Estimé, un nationaliste de la plus belle eau, a laissé une pointe de nostalgie dans l’esprit de tous les Haïtiens épris de dignité, de justice sociale et d’esprit progressiste. Il est de la trempe des Christophe, Salomon, Firmin, Leconte, et de Magloire. Ses enfants, et les enfants de leurs enfants seront partout et toujours ESTIMÉS par tous les Haïtiens à l’intérieur, comme à l’extérieur du pays.
  1. 7) L’autre page, celle écrite par l’homme du Trou-du-Nord, le président Jovenel Moïse, brille d’une lueur blafarde, sans aucun éclat. Elle offre l’image d’un rêve brisé : Développer l’agriculture et électrifier tout le pays. Trois ans après l’élection de ce président, le Parlement du pays n’était plus fonctionnel ainsi que la plupart des institutions étatiques. Détenteur de 14 comptes bancaires, il fut accusé de blanchiment d’argent. L’inflation, la dévaluation de la monnaie nationale, et surtout l’emprise des gangs armés sur tous les secteurs de la vie nationale ont plongé le pays dans un véritable labyrinthe. Son combat contre les oligarques, avec une Police qui se fait ridiculiser quotidiennement, et une Armée fantoche sans armes, sans munitions et sans équipements lui donnaient l’allure d’un Don Quichotte qui se battait contre des moulins à vent.
  1. 8) Les alliances suspectes qui se nouent pour la gouvernance du pays, la gabegie administrative qui s’annonce avec cinq présidents en perspective, l’étau qui se resserre autour d’un Premier ministre aux abois, les gangs qui ne sont pas encore neutralisés et anéantis, l’absence de vision claire pour le rétablissement des lois dans le cadre de la Constitution, si imparfaite soit-elle, ne sont pas de nature à rassurer personne dans le pays et dans la diaspora.
  1. 9) Le grand poète haïtien, Georges Sylvain, débute son admirable poème ODE À LA DÉLIVRANCE par ces vers :

« Haïti, lève-toi ! Le monstre qui t’entraîne 

Vers l’abime, la honte et le deuil, aura peur

S’il voit se soulever la conscience humaine !

Fais frissonner le monde à tes cris de douleur !

Notre conclusion adoptera la forme interrogative, comme celle de Dr Charlot dans sa pensée du jour. Que peut la conscience humaine dans le cas où les monstres sont des fils dénaturés, des scélérats sans scrupule, sans foi ni loi ? « Sous le vaisseau qui sombre, entendra-t-elle, ou voudra-t-elle entendre l’appel désespéré des naufragés ? »

Prof. Gérard Gène

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