De Montréal. encore sur La Constitution

Par Prof. Gérard Gène

Le respect de la Constitution: un principe fondamental
Les Sénateurs, les Députés, ceux qui possèdent les prérogatives de voter la
Constitution, quelles que soient leurs compétences en la matière, se
laissent très souvent guider par des intérêts personnels ou partisans. Une
faiblesse consciente inavouable qu’ils partagent avec les dirigeants
politiques, dans l’exercice de leurs fonctions. Il revient donc aux citoyens,
soucieux de cette réalité, de combattre les dérives à tous les nouveaux par
des actions concrètes. Dans certains cas, dénoncer, protester, condamner
ne sont pas suffisants. Il faut agir dans la mesure de ses possibilités. Un
proverbe haïtien affirme avec justesse : « Pisé krapo fè la riviè désann. »
L’une de ces démarches appropriées et éminemment efficaces, serait
de soumettre aux parlementaires et au peuple haïtien des propositions,
susceptibles d’abroger les articles controversés de la Constitution, tout en
soulignant les défaillances gouvernementales au niveau du respect de la
Charte fondamentale de la République. Cette approche positive et directe
fortifie notre certitude. Dans tout pays où la Constitution présente de graves
fissures dans ses structures, ou n’est pas respectée, le chaos ou la
dictature triomphe toujours. Laissons de côté les multiples irritants de la
Constitution de 1987 amendée, pour jeter plutôt un bref coup d’œil sur
quelques articles qui y sont particulièrement mis à mal.

1) Le Président Jovenel Moïse est assassiné. L’article 149 dicte la
voie à suivre.
« En cas de vacance de la Présidence de la République soit pas
démission, destitution, décès ou en cas d’incapacité physique ou
mentale permanente dûment constatée, le Conseil des Ministres
sous la Présidence du Premier Ministre exerce le pouvoir
exécutif jusqu’à l’élection d’un autre Président.
Dans ce cas, le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la
République pour le temps qui reste à courir a lieu soixante (60)
jours au moins et cent vingt (120) jours au plus après l’ouverture
de la vacance, conformément à la Constitution et à la loi
électorale. »

Tout est clair. Néanmoins, cette exigence constitutionnelle n’a pas été
respectée. L’opposition voulait une très longue transition. Les raisons sont
évidentes. Le pays est plongé dans le chaos infernal tant souhaité par les
gangs à cravates ou à sapates, entre autres.

2) Nous partageons une frontière terrestre avec la République
Dominicaine. Que dit la Constitution à ce sujet ? L’article 266
nous éclaire.

« Les Forces Armées d’Haïti ont pour attributions (Point 3) d’assurer la
surveillance des frontières terrestres, maritimes et aériennes. »
Qu’avons-nous à la frontière ? Un Corps armé dénommé Polifront. Pas un
soldat. Profitant de ce vide institutionnel, la Brigade de Sécurité des Aires
Protégées (BSAP) s’offre l’attribution du contrôle de la Frontière. Aucune
réaction de la part du gouvernement. Le nombre des agents de cette Brigade
n’est pas défini. L’État croit qu’il y en a 120, mais pour Jeantel Joseph, c’est
plutôt 1.207 agents. Cafouillage majeur. Ils sont tous armés, et ils rentrent
parfois en conflit ouvert avec les policiers. Le gouvernement, un peu
désemparé par ces troubles incessants, ordonne leur désarmement. En
vain. Ils sont propriétaires de leurs armes. Le Dr Ariel Henri avait déclaré,
dans un aveu d’impuissance : « C’est une dysfonction des institutions qui
se trouve à la source de ce grave problème. » Aujourd’hui encore, le
problème du désarmement est à l’ordre du jour.

3) L’article 251 stipule : « L’importation des denrées agricoles et de
leurs dérivés produits en quantité suffisante sur le territoire
National, est interdite sauf cas de force majeure. »

Stimulés par cet article qui ouvre la voie vers la sécurité alimentaire, les
cultivateurs de la Plaine Maribaroux entreprennent la construction d’un
système d’irrigation, alimenté par les eaux de la Rivière Massacre dans le
double objectif de contrôler ses crues et d’irriguer plus de 3.000 hectares de
terres. Aussitôt, les exportateurs de riz Dominicains alertent leur Président,
Luis Abinader. La réaction est immédiate. Pression sur le gouvernement
haïtien pour bloquer le travail. Fermeture de la frontière. Une tour de guet
est érigée. Des hélicoptères survolent la région. Des soldats patrouillent.
Des actes d’intimidation et de provocation s’accumulent. Pour couronner le
tout, une statue de la Vierge Altagracia, la Sainte patronne du pays, est
placée en face de la construction du canal. Les Haïtiens répliquent par des
cérémonies de vodou. Alors, l’incroyable s’est produit à la surprise des deux
côtés de la frontière. L’Évêque qui avait procédé à l’inauguration de la statue
meurt subitement, moins de deux semaines après. Une coïncidence ? Une
vengeance des divinités tutélaires ? Un effet des cérémonies de vodou ?
Les opinions diffèrent. Quoi qu’il en soit, le riz KPK (kanal la Pap Kanpé) est
déjà en vente. Un immense triomphe qui illustre admirablement bien la
puissance de l’union et de la détermination d’un peuple.

À la frontière, pour protéger le canal et les travailleurs, ce sont les
agents de la BSAP, armés de façon illégale, qui se dressent en face des
soldats dominicains, au péril de leur vie. Une véritable situation kafkaïenne.
On est porté à faire la part des choses en toute justice.

4) Un dernier cas au non-respect de la Constitution. Il y en a
tellement ! Le Bureau des Mines et de l’Énergie, en collaboration
avec les Nations Unis, a permis la mise en évidence de gisement

d’or, d’argent, de cuivre, de bauxite etc. L’évaluation avancée se
situe aux environs de 20 milliards de dollars. Cette annonce
illumine les convoitises. Les Compagnies minières, les dirigeants
politiques et du Bureau des Mines et de l’Énergie jubilent et
trépignent d’impatience. Le Président Michel Martelly au pouvoir,
n’a pas perdu de temps. Le feu vert est donné à l’exploitation
minière partout dans le pays. Un secteur qui concerne l’article
36.5 de la Constitution.

« Le droit de propriété ne s’étend pas au littoral, aux sources, rivières, cours
d’eau, mines et carrières. Ils font partie du domaine public de l’État. »
Cette ruée vers les mines entraine les déplacements de plus 150. 000
personnes qui ont perdu ainsi tous leurs moyens de subsistance. Des cris
de détresse s’élèvent. En vain. Alors, le Sénat a su prouver son utilité. En
2013, une résolution demande au Pouvoir exécutif de surseoir toute activité
minière d’exploitation et d’exploration. Pris au dépourvu, le gouvernement
entame immédiatement une révision de la Constitution du cadre légal
régissant le secteur minier, prônant la totale libération des exploitations
minières. Le développement local est laissé entre les mains des
Compagnies, et l’État se débarrasse de toutes responsabilités. Est-ce que le
tour est joué ? Non. L’article 40 de la Constitution n’a pas été abrogé. Que
dit-il ?
« Obligation est faite à l’État de donner publicité, par voie de presse parlée,
écrite et télévisée, en langue créole et française aux lois, arrêtés, décrets,
accords internationaux, traités, conventions, à tout ce qui touche la vie
nationale, exception faite pour les informations relevant de la Sécurité
Nationale. »
Alors, pour contourner cette loi un peu trop contraignante, le
gouvernement ordonne la mise en application du décret sur les mines, sans
aucune annonce. Cette stratégie machiavélique a placé tous les
contestataires devant le fait accompli. L’argent peut commencer à remplir
les poches.

La situation chaotique dans laquelle est plongée la République
depuis des décennies, trouve sa source, en partie, dans le piétinement des
valeurs démocratiques de nos institutions étatiques. Or, là où des lois
fondamentales ne sont pas respectées, la Liberté, l’Égalité et la Fraternité
sont enchaînées au même endroit que la Justice et le Bien-être du peuple.
Prof. Gérard Gène
Courriel : gerardgene63@gmail.com

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