Pour une Haiti nouvelle
Le respect de la Constitution: un principe fondamental
Les Sénateurs, les Députés, ceux qui possèdent les prérogatives de voter la Constitution, quelles que soient leurs compétences en la matière, se laissent très souvent guider par des intérêts personnels ou partisans. Une faiblesse consciente inavouable qu’ils partagent avec les dirigeants politiques, dans l’exercice de leurs fonctions. Il revient donc aux citoyens, soucieux de cette réalité, de combattre les dérives à tous les nouveaux par des actions concrètes. Dans certains cas, dénoncer, protester, condamner ne sont pas suffisants. Il faut agir dans la mesure de ses possibilités. Un proverbe haïtien affirme avec justesse : « Pisé krapo fè la riviè désann. »
L’une de ces démarches appropriées et éminemment efficaces, serait de soumettre aux parlementaires et au peuple haïtien des propositions, susceptibles d’abroger les articles controversés de la Constitution, tout en soulignant les défaillances gouvernementales au niveau du respect de la Charte fondamentale de la République. Cette approche positive et directe fortifie notre certitude. Dans tout pays où la Constitution présente de graves fissures dans ses structures, ou n’est pas respectée, le chaos ou la dictature triomphe toujours. Laissons de côté les multiples irritants de la Constitution de 1987 amendée, pour jeter plutôt un bref coup d’œil sur quelques articles qui y sont particulièrement mis à mal.
- 1) Le Président Jovenel Moïse est assassiné. L’article 149 dicte la voie à suivre.
« En cas de vacance de la Présidence de la République soit pas démission, destitution, décès ou en cas d’incapacité physique ou mentale permanente dûment constatée, le Conseil des Ministres sous la Présidence du Premier Ministre exerce le pouvoir exécutif jusqu’à l’élection d’un autre Président.
Dans ce cas, le scrutin pour l’élection du nouveau Président de la République pour le temps qui reste à courir a lieu soixante (60) jours au moins et cent vingt (120) jours au plus après l’ouverture de la vacance, conformément à la Constitution et à la loi électorale. »
Tout est clair. Néanmoins, cette exigence constitutionnelle n’a pas été respectée. L’opposition voulait une très longue transition. Les raisons sont évidentes. Le pays est plongé dans le chaos infernal tant souhaité par les gangs à cravates ou à sapates, entre autres.
- 2) Nous partageons une frontière terrestre avec la République Dominicaine. Que dit la Constitution à ce sujet ? L’article 266 nous éclaire.
« Les Forces Armées d’Haïti ont pour attributions (Point 3) d’assurer la surveillance des frontières terrestres, maritimes et aériennes. »
Qu’avons-nous à la frontière ? Un Corps armé dénommé Polifront. Pas un soldat. Profitant de ce vide institutionnel, la Brigade de Sécurité des Aires Protégées (BSAP) s’offre l’attribution du contrôle de la Frontière. Aucune réaction de la part du gouvernement. Le nombre des agents de cette Brigade n’est pas défini. L’État croit qu’il y en a 120, mais pour Jeantel Joseph, c’est plutôt 1.207 agents. Cafouillage majeur. Ils sont tous armés, et ils rentrent parfois en conflit ouvert avec les policiers. Le gouvernement, un peu désemparé par ces troubles incessants, ordonne leur désarmement. En vain. Ils sont propriétaires de leurs armes. Le Dr Ariel Henri avait déclaré, dans un aveu d’impuissance : « C’est une dysfonction des institutions qui se trouve à la source de ce grave problème. » Aujourd’hui encore, le problème du désarmement est à l’ordre du jour.
- 3) L’article 251 stipule : « L’importation des denrées agricoles et de leurs dérivés produits en quantité suffisante sur le territoire National, est interdite sauf cas de force majeure. »
Stimulés par cet article qui ouvre la voie vers la sécurité alimentaire, les cultivateurs de la Plaine Maribaroux entreprennent la construction d’un système d’irrigation, alimenté par les eaux de la Rivière Massacre dans le double objectif de contrôler ses crues et d’irriguer plus de 3.000 hectares de terres. Aussitôt, les exportateurs de riz Dominicains alertent leur Président, Luis Abinader. La réaction est immédiate. Pression sur le gouvernement haïtien pour bloquer le travail. Fermeture de la frontière. Une tour de guet est érigée. Des hélicoptères survolent la région. Des soldats patrouillent. Des actes d’intimidation et de provocation s’accumulent. Pour couronner le tout, une statue de la Vierge Altagracia, la Sainte patronne du pays, est placée en face de la construction du canal. Les Haïtiens répliquent par des cérémonies de vodou. Alors, l’incroyable s’est produit à la surprise des deux côtés de la frontière. L’Évêque qui avait procédé à l’inauguration de la statue meurt subitement, moins de deux semaines après. Une coïncidence ? Une vengeance des divinités tutélaires ? Un effet des cérémonies de vodou ? Les opinions diffèrent. Quoi qu’il en soit, le riz KPK (kanal la Pap Kanpé) est déjà en vente. Un immense triomphe qui illustre admirablement bien la puissance de l’union et de la détermination d’un peuple.
À la frontière, pour protéger le canal et les travailleurs, ce sont les agents de la BSAP, armés de façon illégale, qui se dressent en face des soldats dominicains, au péril de leur vie. Une véritable situation kafkaïenne. On est porté à faire la part des choses en toute justice.
- 4) Un dernier cas au non-respect de la Constitution. Il y en a tellement ! Le Bureau des Mines et de l’Énergie, en collaboration avec les Nations Unis, a permis la mise en évidence de gisement d’or, d’argent, de cuivre, de bauxite etc. L’évaluation avancée se situe aux environs de 20 milliards de dollars. Cette annonce illumine les convoitises. Les Compagnies minières, les dirigeants politiques et du Bureau des Mines et de l’Énergie jubilent et trépignent d’impatience. Le Président Michel Martelly au pouvoir, n’a pas perdu de temps. Le feu vert est donné à l’exploitation minière partout dans le pays. Un secteur qui concerne l’article 36.5 de la Constitution.
« Le droit de propriété ne s’étend pas au littoral, aux sources, rivières, cours d’eau, mines et carrières. Ils font partie du domaine public de l’État. »
Cette ruée vers les mines entraine les déplacements de plus 150. 000 personnes qui ont perdu ainsi tous leurs moyens de subsistance. Des cris de détresse s’élèvent. En vain. Alors, le Sénat a su prouver son utilité. En 2013, une résolution demande au Pouvoir exécutif de surseoir toute activité minière d’exploitation et d’exploration. Pris au dépourvu, le gouvernement entame immédiatement une révision de la Constitution du cadre légal régissant le secteur minier, prônant la totale libération des exploitations minières. Le développement local est laissé entre les mains des Compagnies, et l’État se débarrasse de toutes responsabilités. Est-ce que le tour est joué ? Non. L’article 40 de la Constitution n’a pas été abrogé. Que dit-il ?
« Obligation est faite à l’État de donner publicité, par voie de presse parlée, écrite et télévisée, en langue créole et française aux lois, arrêtés, décrets, accords internationaux, traités, conventions, à tout ce qui touche la vie nationale, exception faite pour les informations relevant de la Sécurité Nationale. »
Alors, pour contourner cette loi une peu trop contraignante, le gouvernement ordonne la mise en application du décret sur les mines, sans aucune annonce. Cette stratégie machiavélique a placé tous les contestataires devant le fait accompli. L’argent peut commencer à remplir les poches.
La situation chaotique dans laquelle est plongée la République depuis des décennies, trouve sa source, en partie, dans le piétinement des valeurs démocratiques de nos institutions étatiques. Or, là où des lois fondamentales ne sont pas respectées, la Liberté, l’Égalité et la Fraternité sont enchaînées au même endroit que la Justice et le Bien-être du peuple.
Gérard Gène