Bwa Kayiman

Prof. Gabriel Guillaume

Traversé comme par un immense  courant électrique, je tremblais de tout mon corps. Les bruits assourdissants des tambours et les supplications des convives, le  grondement envoûtant de l’orage, le vent, les éclairs et la pluie, tout dans mon esprit  me transportait, les yeux fermés, jusqu’à cette fameuse cérémonie politico-religieuse qui allait devenir la pièce maitresse de ce bouleversement historique inimaginable. J’étais dans la section communale de Balan, au sein de la clairière du Bois Caïman.

Bookman (l’homme du Livre) évoque les dieux tutélaires et interpelle le ’’Gran Mèt’’. C’est la grande confrontation entre deux civilisations. La lutte est arrivée à son point culminant ; aucun compromis n’est possible, nous sommes dans la vallée d’Armageddon de l’Apocalypse :’’Vivre libre ou mourir’’, c’est le cri de ralliement. En cette nuit mémorable du 14 Août 1791, un monde nouveau surgit pour proclamer l’avènement du règne de la Dignité, de la Justice, de la Liberté. Des esclaves, sans nom et sans armes mais sans peur, décident de se mettre debout pour affronter l’ignominie et rejeter à jamais l’absurde et l’imposture.

Lapriyè Boukman (Kreyol)

Bon Dje ki fè la tè. Ki fè soley ki klere nou anwo. Bon Dje ki soulve lanmè, ki fè gronde loraj. Bon Dje nou ki gen zorey pou tande. Ou ki kache nan nyaj. Kap gade nou kote nou ye la. Ou wè tout sa blan fè nou sibi.

Bon Dje blan yo mande krim. Men Bon Dje ki nan nou an vle byen fè. Bon Dje  nou an ki si bon, ki si jis, li òdone vanjans. Se li kap kondui bra  nou pou nou ranpòte la viktwa. Se li kap bannou asistans. Nou tout fèt pou nou jete pòtre dje Blan yo ki swaf dlo nan zye. Koute vwa la libéte k ap chante nan kè nou.

Traduction : La prière de Boukman

Dieu qui créas la terre, qui créas le soleil qui nous donnes la lumière. Dieu, toi qui soulèves les vagues de la mer, qui fais gronder l’orage. Dieu qui as des oreilles pour nous entendre. Toi qui résides  dans les nuages et qui nous observes d’en haut, tu vois toutes les souffrances que les blancs nous font subir. 

Le Dieu des blancs exige des crimes, mais le Dieu qui est en nous est un Dieu de bienfaits, un Dieu si bon, un Dieu si juste. Il nous ordonne la vengeance. C’est lui qui guidera nos bras pour nous conduire vers la victoire. C’est lui qui nous assistera. Nous devons rejeter  cette image du Dieu des blancs qui fait couler des larmes. Ecoutons plutôt la voix de la liberté qui chante dans nos cœurs.

La prière de Boukman montre la sagesse fondamentale nègre. Nous sommes ce que nous réclamons de toutes nos forces, nous sommes ce pour quoi nous luttons. La Liberté. La prière de Boukman met en évidence la sagesse sacrée du Vodou, mais exige des actions et non des mots. Cette prière définit clairement pourquoi les esclaves ont choisi leur philosophie originelle africaine de liberté, plutôt que de se courber devant la vision européenne de Dieu, vision sexiste, raciste et génocidaire, vision qui engendre les crimes odieux de l’esclavage, de la colonisation et  de la spoliation systématique.

Il est regrettable que Bwa Kayiman, ce lieu-témoin d’un si grand évènement, soit laissé ainsi à l’abandon. Aucun gouvernement, aucun responsable politique ou religieux n’a jugé bon de faire de ce lieu ce qu’il est vraiment, une référence, un rendez-vous sacré où l’humain, à travers des esclaves, a clairement manifesté la quintessence de son être. ‘’Vivre libre ou mourir’’. Au contraire, des fils dénaturés, sans mémoire et sans vision, des sous-produits avariés de cette zombification post coloniale, ont malheureusement jeté l’opprobre sur cette terre sacrée. Honnis soient-ils, et honnis soient tous ceux qui, au nom d’une évangélisation sans vergogne, jettent le trouble et le reniement dans la conscience d’un grand nombre de gens démunis et aliénés. La culpabilité, la peur, l’aliénation  sont les armes privilégiées de ces prêcheurs de misère voués à la cause des empires prédateurs. 

A l’instar de Christophe Colomb qui a conquis l’amour et la confiance du cacique Guacanagaric, celui-ci livrant littéralement les siens, les nouveaux colons, (‘’les amis d’Haïti’’ ?), sous le faux prétexte d’aide internationale, poursuivent sans complexe le plus grand carnage de l’histoire de l’Humanité, 75 millions d’Amérindiens, 15 millions d’Africains.

Comment peut-on justifier les fameuses campagnes de ‘’REJETE’’ de Mgr. Robert, Mgr. Kersuzan, Père Froisset, des pasteurs protestants et autres, campagnes autorisées et soutenues, tout au long de notre histoire, par des dirigeants politiques croupions, sans dignité, et assoiffés de pouvoirs ?  Quelle démarche de civilisation ou de rédemption peut-on consciemment évoquer pour légitimer cette méconnaissance évidente de l’histoire et cette intolérance crasse qui sont à la base de la destruction sauvage des lieux et objets de culte d’un peuple qui a réalisé 1804, avec la Proclamation de l’Indépendance de la Première République noire? Honte à vous, misérables  missionnaires ! Malheur à vous, Commissaires, Ambassadeurs qui, allègrement avec nos exécrables dirigeants et les insatiables brasseurs d’affaires, planifient et matérialisent la dépravation et la perdition de millions d’êtres humains. Haïti vous donne rendrez-vous au Tribunal de l’Histoire. 

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