EN CE TEMPS-LÀ

Gabriel Guillaume, Miami

En ce temps-là, au temps maudit du « sauve qui peut », Promesse et Projet étaient des lettres mortes. La dictature, sous toutes ses formes, donnait le ton et rythmait la cadence. Nous sommes à la fin des années 50, au début des années 60. C’était une malédiction d’être jeune et conscient ;  il n’y avait de place nulle part pour les bien-pensants.

                    « J’ai vu des camarades, à l’orée du malheur, agiter leur jeunesse d’avec ce qui restait de force à leur fierté. » Beaucoup sont tombés et d’autres exilés; les transfuges et les convertis se comptaient par milliers. On jurait par le fils, après avoir tout sacrifié au père. Chacun cherchait à sa manière la porte de sortie et l’haïtien, à son tour, devenait juif errantt. Familles disloquées, couples séparés, jeunesse désemparée, amours perdues, amitié disparue; l’absurde s’est installé partout dans le pays. Et pourtant, aujourd’hui où le pire ne connaît point de limite, les enfants d’Haïti comme autrefois ceux d’Israël au souvenir des oignons d’Egypte, arrivent à regretter l’horrible paix de cimetière. 

                  A tous celles et à toutes ceux  qui sont partis, pour fuir ces temps amers et chercher refuge ailleurs, sous des cieux prétendument plus cléments, je dédie ces quelques vers :

Réfugié, mon frère,

Je ne sais d’où tu viens 

Et j’ignore où tu vas;

Sur la route du monde j’ai entendu tes pas,

Pas trop loin devant moi.

Réfugié, mon frère,

Exilé du Lointain, la terre t’appartient.

Tu réclames ta vie enfouie sous les décombres,

Tout en fuyant la mort cachée dans les pénombres.

Tu cherches ta lumière enterrée par la haine;

L’ignorance, la peur et le doute t’enchaînent.

Sur les ailes du vent, les routes de la mer,

Va, cours, vole, mon frère et vogue la galère.

Les nuages et le vent se moquent des frontières ;

La maison des humains couvre la terre entière.

Réfugié, mon frère,

Exilé du Lointain, la terre t’appartient.

Nous sommes tous voyageurs sur les chemins du monde,

Et nos vies s’entrelacent en lignes vagabondes,

Sans rime ni raison.

Réfugié, mon frère,

J’ose te demander de ne pas oublier

Ce que tu portes en toi d’humaine dignité.

Quel que soit ton refuge, et en dépit des lois, 

Mon frère, tu es chez toi.

                                                                                         GTG/ octobre 2017

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