Le CNT à l'épreuve

Prof. Gérard Gène

Le Conseil National de Transition est en train de jouer son va-tout, en affichant sa volonté d’évincer le Premier ministre Ariel Henry de son poste de Chef du gouvernement. La lutte pour le pouvoir s’annonce féroce et brutale. L’analyse du rapport des forces apparentes autorise à penser que le Premier ministre est en position de force. Regardons cela un peu plus près.

           M. Jacques Ted Saint-Dic est réaliste. Il saisit admirablement bien les enjeux en affirmant que : « le départ du Premier ministre devrait se faire dans l’ordre, suite à un accord préalablement trouvé entre différents secteurs de la vie nationale. » Or c’est là justement où le bât blesse. Les accords politiques en Haïti sont du sable mouvant. Ce qui est signé aujourd’hui est rejeté demain. Soulignons quelques points pour éclaircir un peu le panorama politique.

  1. 1) Obtenir un accord global entre tous les acteurs politiques reste une vue de l’esprit. Une impossibilité. Trop d’acteurs. Trop de vues opposées.
  2. 2) Préconiser une fusion des accords, comme le suggèrent les émissaires américains ? Là encore, c’est loin d’être réalisable.
  3. 3) Sans de solides accords, le CNT risque de se présenter en position de faiblesse dans un combat qui s’annonce sans pitié.
  4. 4) Remplacer le Chef du gouvernement ? Qui possède un tel pouvoir en dehors d’une union globale ?
  5. 5) Une note de difficulté supplémentaire. Le Premier ministre peut compter sur les appuis de la « Communauté internationale », les États-Unis en tête, JUSQU’À PRÉSENT.
  6. 6) Fort de cet appui, il tentera de négocier son départ à son avantage et cela prendra du temps. Pour lui, c’est du gâteau. 
  7. 7) Dans les faits, il ne partira qu’à la demande de ses protecteurs, ou sous la pression des gangs qui possèdent la capacité de le neutraliser n’importe où, n’importe quand.
  8. 8) Les membres du Conseil National de transition, de leur côté, doivent utiliser la voie de la prudence. La grande priorité pour la République, c’est la sécurité. Quiconque voudra l’installer sans un appui militaire adéquat, le fera au péril de sa vie.

           Au-delà de ces considérations, on se demande souvent pourquoi les acteurs politiques, dans la fièvre de la transition, refusent tous de regarder du côté de la Constitution. Il est vrai que cette Constitution a une prévision pour un exécutif bicéphale, mais cette stipulation prévaut seulement quand un Président est en fonction. En cas de vacance présidentielle, c’est l’article 149 qui devrait prévaloir. On le connait très bien. « En cas de vacance de la Présidence de la République, le Conseil des ministres sous la présidence du Premier ministre exerce le Pouvoir exécutif jusqu’à l’élection d’un Président. » Tout est si simple ainsi pour une sortie de crise ! Mais la transition est comme un mot magique qui captive les esprits. La jouissance du pouvoir est captivante en soi. Elle a l’effet d’une drogue puissante qui prend le contrôle du cerveau jusqu’à provoquer le syndrome de manque, de dépendance. Il est superflu d’ajouter que le Premier ministre est dans cet état actuellement. Cet aspect des choses nous aide à mieux comprendre son acharnement à garder le pouvoir. Le contenu de son dernier discours nous en apporte la preuve. Ce n’était que du vent. De la bouillie pour chat. Un cynisme outrageant et glaçant qui suffoque. 

         Or, tandis que le CNT est encore à la recherche d’éventuels accords, le Premier ministre lui, dilapide allégrement les fonds publics pour consolider son pouvoir. C’est dans cette optique qu’il vient d’accorder un passeport diplomatique au sulfureux Me André Michel, qui veut satisfaire une petite fantaisie : un petit voyage d’agrément chez l’Oncle Sam. Le Conseil National de Transition possède sans doute des atouts secrets pour vaincre notre Docteur. Sinon, il connaîtra le sort d’un enfant mort-né.

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