ALLER A LA SOURCE
Il fut un temps, il n’y a pas si longtemps, où l’eau courante, avec tuyauterie et robinets, n’était pas disponible dans nos villages et dans la grande majorité de nos villes de province. Pour subvenir aux besoins en eau potable des populations en question, il n’y avait que les rivières et les sources, et exceptionnellement des puits fort peu recommandables.
Dans ces conditions, ‘’aller à la source’’ constituait l’une des tâches domestiques essentielles pour la survie quotidienne des familles campagnardes. Quant aux familles des petites villes, l’existence de quelques fontaines publiques facilitait l’approvisionnement en eau potable de façon assez régulière. Ces fontaines donnaient lieu à l’aménagement d’agréables places publiques ; érigées au centre même de ces places, ces fontaines sont devenues de très belles pièces architecturales à quatre faces, fort attrayantes. Sur chacune de ces faces, on pouvait admirer des sculptures de tête d’animaux (des gargouilles) déversant généreusement le précieux liquide. C’est ainsi qu’au Cap-Haitien, la deuxième ville de la République, ancienne capitale de la colonie de Saint-Domingue, on retrouvait plusieurs places publiques avec leur fontaine dont ‘’la Place Montarcher’’ de la rue 18 espagnole, ‘’La Place du Sacré-Cœur‘’ à la rue 2 de La Fossette, ‘’La petite fontaine de Mandot’’, ‘’la fontaine de Grande Ravine’’, ‘’La Place du Carénage’’, à proximité du bord de mer, etc.
Pour revenir aux sources des faubourgs et des campagnes, ‘’ALE NAN DLO’’ faisait partie des tâches assignées aux jeunes d’un certain âge, capables de transporter des ‘’boquites’’ de cinq gallons sur un itinéraire d’environ un kilomètre. Ordinairement, les sources naturelles se formaient aux alentours des rivières, au pied de certains arbres géants ou sous une couverture végétale plus ou moins abondante. Malgré son aspect rigoureux et pénible, ‘’cette corvée à la source’’, matin et soir, était transformée en moments de détente pour ces jeunes. En effet, ces derniers en profitaient pour plonger à loisir dans les bassins proches des sources, car il leur arrivait souvent de devoir attendre que l’eau de la source ‘’se repose’’ et se renouvelle après plusieurs ‘’puisages’’.
Je m’en voudrais un peu pour ne pas profiter de cette réminiscence fort significative pour évoquer la tendance de plus en plus constatée d’un ‘’retour aux sources’’, au sens propre comme au sens figuré. Au sens propre, le commerce de l’eau naturelle de source se développe et devient très rentable un peu partout, en concurrence avec l’eau traitée, distillée à grand renfort de substances chimiques.
Au sens figuré, la déconvenue, la déception de l’homme moderne face aux nouvelles formes de vie imposées par les sociétés contemporaines, incitent fortement à un retour aux us et coutumes d’autrefois jugées moins avilissantes. Il ne fait pas de doute que ça va mal, que ça va très mal dans notre monde d’aujourd’hui, en dépit des progrès matériels énormes enregistrés dans tous les domaines ; l’Éthique indispensable n’est pas au rendez-vous. La convivialité, la compassion, le partage, la justice, en un mot le VIVRE ENSEMBLE a perdu sa place d’honneur, supplanté par l’égoïsme, la haine, le mensonge, l’exploitation à tous les niveaux.
Il serait illusoire, voire enfantin de comprendre et d’envisager ce ‘’RETOUR AUX SOUCES’’ comme un volte-face simple, sans tenir compte des acquis et des exigences nouvelles. Combinaison intelligente entre l’antique et le moderne, entre les charmes anciens et les exigences nouvelles incontournables, cette heureuse symbiose ne serait- elle pas, à toutes fins pratiques, la meilleure solution pour toutes les générations ? Sauvegarder le Patrimoine tout en s’adaptant aux nouvelles évolutions, sans tomber dans le consumérisme desséchant du monde moderne, telle est notre point de vue.
GTG/ février 2024