En ce temps-là, au pays du soleil, sur la terre de Dessalines et de la liberté, au temps maudit du « sauve qui peut », Promesse et Projet étaient des lettres mortes. La dictature, sous toutes ses formes, donnait le ton et rythmait la cadence. Nous sommes à la fin des années 50, au début des années 60. C’était une malédiction d’être jeune et conscient et il n’y avait de place nulle part pour les bien-pensants.
« J’ai vu des camarades, à l’orée du malheur, agiter leur jeunesse d’avec ce qui restait de force à leur fierté. » Beaucoup sont tombés et d’autres exilés ; les transfuges et les convertis se comptaient par milliers. On jurait par le fils, après avoir tout sacrifié au père. Chacun cherchait à sa manière la porte de sortie et l’haïtien, à son tour, devenait juif errant. Familles disloquées, couples séparés, jeunesse désemparée, amours perdues, amitié disparue ; l’absurde s’est installé partout dans le pays. Alors, comme des milliers d’autres, fatigué de veiller la triste et longue veille,
JE SUIS PARTI UN JOUR
Je suis parti un jour au pays des grands lacs.
Je suis parti un jour
Dresser ma frêle tente et poser mon bivouac.
Comme l’oiseau migrateur aux approches de l’hiver,
J’ai voulu changer d’air.
Au pays des coureurs,
Des grands coureurs de bois ;
Sur la terre du blé, de l’acier et du verre,
Je suis parti un jour contempler le printemps
Et chercher pour mes ans
Une flamme nouvelle.
Pays de sapins verts et de neige crystal,
J’ai baigné mes regards
De la vive splendeur de ta blanche nature.
Sous la caresse étrange de tes mains hivernales,
De mes pas lents et courts,
J’ai cherché la mesure de tes arpents de neige.
Sous les blanches ondées de tes beaux confetti,
J’ai marché dans ta ville,
Dans les rues de ta ville si fièrement campée,
Comme là-bas nos montagnes,
Murs de nos horizons.
Refoulant mes ennuis
Et lestant mon esprit du poids de mes dégoûts,
J’ai épousé tes joies et chanté avec toi,
Fils de la Belle Province.
Tu as vu sur mon teint la couleur de la nuit,
Et l’ardeur du soleil dans ma démarche lente ;
Mais vois-tu dans ma nuit l’odeur de mon été ?
Vois-tu dans mon été les échos de mon chant,
Et dans mon chant, vois-tu la force de l’espoir ?
Je crains d’avoir passé
Comme un nuage égaré au travers de ton ciel.
Je doute que ma chaleur
N’ait pu laisser de trace
Sur ta route enneigée aux trois quarts de l’année.
J’ignore si tes regards
Ont souvent dépassé le péritoine obscur de
Ma réalité
Pour découvrir
Ce lopin de verdure et de rêves brulés,
Ces regards angoissés, ces vies de pélican,
Ce carnaval étrange qui se déroule en moi.
Œil au regard muet,
As-tu vu dans ma nuit
Cette âme d’enfant qui dort,
Remplie de l’espérance…
Ami au verbe lent,
As-tu dans mes mains
Ce cœur de révolté
Qui bat,
Qui bat très fort,
Jusqu’à la limite de paume,
De ma paume blanche que te tends ouverte
Pour recevoir de toi ta profonde amitié,
La leçon du combat et le geste loyal,
Et aussi pour t’offrir
La chaleur de mon cœur et ma passion de vivre… ?
(Ton Gui, février 1967, Montréal)
En effet, comme tant d’autres professionnels originaires d’Haïti, j’ai épousé les grandes préoccupations des fils et des filles de la belle Province du Québec, ces Canadiens français qui se faisaient nommer ‘’les Nègres blancs d’Amérique’’. Nous avons participé, discrètement certes, mais de façon authentique à cette démarche d’émancipation d’une autre tranche d’humanité aux prises avec les politiques absurdes de domination et d’exploitation de l’homme par l’homme.
Le Professeur Samuel Pierre d’origine haïtienne retrace, dans son livre-témoin intitulé ‘’Les Québécois venus d’Haïti’’, les diverses catégories de professionnels haïtiens qui, au Canada en général, au Québec en particulier, se sont intégrés valablement dans différents domaines dont, la politique, la culture, le développement social, la santé et l’éducation. ‘’Ils ont pris une part active mais largement méconnue par la société québécoise à ce qui est connue aujourd’hui comme ‘’la Révolution tranquille du Québec’’.
‘’Samuel Pierre, Frantz Voltaire et Dominique Anglade s’entendent pour dire que l’apport positif de la Communauté Haïtienne à la Société québécoise renforce le sentiment d’appartenance des haïtiens à leur pays d’accueil. Documenter la présence des Haïtiens au Québec, c’est aussi ce que Frantz Voltaire et Daniel Godefroy ont voulu faire en 1983 en fondant le Centre International de Documentation et d’Information Haïtienne, Canadienne et Afrocanadienne (CIDIHCA)’’. (Naomie Gelper- Metro, 22 février 2021).
Aussi, compte tenu d’une part de l’état déplorable de la réalité haïtienne, situation succinctement exposée au tout début de ce témoignage, et connaissant, d’autre part, la participation active du Canada aux nombreuses et énigmatiques délibérations relatives aux solutions envisagées pour la résolution du cas haïtien, n’aurait-il pas lieu d’espérer un retour d’ascenseur de la part du Québec qui contribue sans nul doute à la politique étrangère du Canada ? Ce serait tout simplement justice et reconnaissance ! Attendons voir!
GTG/ janvier 2024