De Montréal, par Prof. Gérard Gène
Depuis plusieurs mois, Port-au-Prince devient un vaste théâtre où se joue une action dramatique, qui échappe à une fiction littéraire. Dans cette capitale qui n’offre à personne le goût de pavoiser, s’affrontent deux ennemis mortels : Madame Martine Moïse et le Premier ministre Ariel Henry. Le souffle de la mort plane sur tous les habitants en plein désarroi par les enlèvements, et de mille soucis de la vie. Or, pour la première fois peut-être dans l’histoire de notre pays, les États-Unis d’Amérique confrontent un dilemme tout à fait particulier : les deux protagonistes sont des collaborateurs précieux à plus d’un titre. Comment favoriser l’un, sans pénaliser l’autre ? Les stratèges de la politique étrangère américaine ont du pain sur la planche.
Voyons les faits. Ce sont eux qui, par leur éloquence, pavent la voie vers la vérité dans sa pleine réalité. Depuis la mort du président Jovenel Moïse le 7 juillet dernier, l’ex-Première Dame jouit d’une protection spéciale de la part de l’Oncle Sam. Cette sollicitude, que l’on pourrait qualifier d’exubérante, étonne plus d’un, car la diplomatie circule ordinairement à pas feutrés. C’est en effet aux États-Unis que Madame Moïse a fait ses toutes premières déclarations publiques. C’est encore là qu’elle a lancé sa candidature à la présidence d’Haïti. Son retour dans le pays, entourée de gardes de sécurité américains. Sa tournée triomphale à Jérémie, aux Cayes et ailleurs. C’est du jamais vu sous le ciel d’Haïti. Alors, peut-on affirmer que la carotte est cuite ? Le fauteuil présidentiel attend-t-il déjà Madame ? Pas si vite. Il y a loin de la coupe aux lèvres.
En face de la veuve éplorée et triomphante à la fois, se dressent son ennemi le plus redoutable : le Premier ministre Ariel Henry, et un politicien d’une habileté tortueuse : le flamboyant Me. André Michel. Grâce à des faveurs substantielles obtenues, ce triste personnage est devenu, du jour au lendemain, l’allié le plus solide de l’homme au pouvoir. À noter que de son côté, le Dr. Ariel Henry n’est pas un enfant de chœur. Comme on le sait, il est pointé du doigt, en tant que complice, dans l’assassinat du président. De plus, on parle ouvertement de ses relations aux odeurs sulfureuses avec des chefs de gangs. Ainsi donc, dans un tel contexte, le mot danger doit s’inscrire dans tous les esprits.
Pour le moment, le Premier ministre Ariel Henry se révèle un serviteur zélé des Américains. Malgré le contentieux qui l’oppose à Madame Moïse. Malgré le rapport accablant de l’émissaire Daniel Foote. Malgré les voix de la rue qui le fustigent de toutes parts. Malgré les enlèvements, les assassinats, les vols, les pillages, le Dr. Henry reste le protégé bien-aimé, pour le moment. Pourquoi ? C’est parce que, entre autres, il rend un immense service au président Biden, en difficulté au niveau de la crise migratoire. Les frontières haïtiennes restent ouvertes, pour faciliter le refoulement des illégaux Haïtiens.
Néanmoins, la plainte déposée par Madame Martine Moïse contre certains présumés assassins et complices du meurtre du président, vient brouiller un peu les cartes. L’étau se resserre donc autour du Premier ministre. Son seul salut demeure la fuite. Mais le Pouvoir est un dieu qui trouble la raison de ses fidèles adorateurs. Qui vivra, verra. En attendant, pour lui permettre de gagner du temps, les Américains vont continuer à faire de la diversion à travers la « valse des émissaires. » Mais attention ! Cette tactique diplomatique a ses faiblesses et ses limites. Il est indécent et même dangereux de soutenir l’insoutenable indéfiniment.
Prof. Gérard Gène