Plaidoyer en faveur du Service en Haiti

Plaidoyer en faveur du Service Civique en Haïti – Décembre 2023

Sommaire

Ma réflexion à ce sujet m’a conduit à considérer les points suivants :

  • Clarification sémantique
  • Contexte
  • Objectifs à atteindre
  • Principes de base
  • Justifications
  • Choix à faire
  • Actions préalables
  • Conclusion

Clarification sémantique 

Il convient au prime abord de préciser ce que l’on peut entendre par :

  1. Service civique

Généralement, c’est un engagement obligatoire ou volontaire d’une certaine durée, de la part de certains groupes d’âge au sein d’une communauté en vue de renforcer la cohésion et la mixité sociale.

Le service civique, étape de vie au cours de laquelle des jeunes de toutes origines sociales et culturelles peuvent se côtoyer et prendre conscience de la diversité de notre société, a vocation de renforcer la cohésion nationale et la mixité sociale. Il doit de ce fait être réellement accessible à tous les jeunes, quels qu’aient été leur formation ou leur parcours antérieur, et notamment aux jeunes issus des quartiers défavorisés.  

  • Service civil

Le service civil est la forme la plus courante d'alternative au service militaire obligatoire, proposée par certains des pays connaissant la conscription. Il s'adresse aux objecteurs de conscience. Le service civil est parfois appelé service alternatif ou service de remplacement.

Le service civil s'effectue en général dans le domaine social ou culturel, comme une aide dans les hôpitaux, le travail avec des personnes âgées ou handicapées. Il peut parfois aussi s'accomplir dans l'agriculture, la protection de l'environnement ou l'aide au développement. Le service civil ne doit pas être confondu avec la sécurité civile ou protection civile.

  • Société civile

La société civile est une notion de science politique et de droit qui a acquis, au cours du temps, plusieurs acceptions. Il s'agit à la fois d'une catégorie d'idéologie civique d'origine anglo-saxonne et d'une notion juridique désignant en droit français une forme de société ou d’organisation dont l'objet, strictement civil, relève du droit civil   et des juridictions civiles, contrairement aux sociétés commerciales et aux établissements publics et administratifs. 

Mise en avant par les grandes organisations internationales, comme l’ONU, la « société civile » désigne l'ensemble des associations à caractère non gouvernemental et à but non lucratif qui agissent comme groupes de pression pour influencer les politiques gouvernementales dans un sens favorable aux intérêts de ceux qu'elles représentent. Il s'agit donc de l'auto-organisation de la société, en dehors du ou parallèlement au cadre institutionnel politique, administratif ou commercial.

La société civile est composée de plusieurs éléments tels que les institutions et organisations civiques et sociales qui façonnent les fondements d’une société viable.  La présence d’une société civile forte est cruciale afin de garantir la démocratie pour la paix, la sécurité et le développement, ce qui est inscrit au cœur même de la mission de l’OEA. Cette dernière encourage l’élargissement des sociétés civiles dans tous ses États membres par l’élaboration et la mise en œuvre de programmes et politiques visant à donner aux citoyens les moyens de participer aux institutions sociales.

Contexte

Situation actuelle en Haïti

Aujourd’hui, nous vivons dans un monde en pleine mutation sur le plan économique, politique et socioculturel. Le développement des outils de communication (Internet, médias) crée une interaction énorme entre les cultures.

Ces changements affectent profondément la communauté urbaine haïtienne en y créant une profonde crise identitaire qui aboutit à de profonds changements et souvent à l’abandon progressif de nos valeurs.

En d’autres termes, les réflexes les plus élémentaires dans le sens du bien Agir et Vivre Ensemble (RVE) sont banalisés et bafoués. Cette crise se manifeste dans toute la société particulièrement au sein de la famille et à l’école.  

Nous constatons que la jeunesse urbaine haïtienne est gangrenée par le choix de comportements inappropriés au bien-être social ; en d’autres termes, cette absence de responsabilité vis-à-vis de la société révèle un problème civique patent.

Il n’y a pas meilleur moment que celui-ci où tous les acteurs impliqués dans l’éducation sont présents (parents, professeurs, élèves, autorités administratives et religieuses, etc.) pour échanger autour de ce thème, combien important et surtout d’actualité.

En définitive nous pouvons dire que le civisme est un état d’esprit qui doit motiver et animer le citoyen à adopter un certain nombre de bonnes conduites : 

  • Ne pas manger en classe ;
  • Ne pas perturber les cours ;
  • Ne pas jeter des saletés dans la rue ;
  • Ne pas enfreindre la loi ;
  • Assumer ses responsabilités dans la communauté en fonction de ses possibilités physiques et intellectuelles.  

Aujourd’hui, le constat est amer. Il y a une dégradation du comportement civique en général chez le citoyen haïtien et chez les jeunes en particulier. L’indiscipline semble être un sport national.

En effet, se dire bonjour dans la rue, dans la cour de l’école devient un rituel rare ; le culte de l’excellence est remplacé par la promotion de l’indiscipline et de la médiocrité, et le respect de l’éthique professionnelle est considéré comme un signe de faiblesse ou de dégénérescence intellectuelle.

Tout ceci dénote une profonde crise du civisme haïtien dont les responsabilités sont partagées. Nous vivons dans une communauté urbaine dans laquelle des parents et éducateurs n’ont plus le temps pour inculquer aux enfants le sens du bien commun.

Il en résulte entres autres conséquences :

  • L’indiscipline notée dans les établissements publics et privés où le mobilier et le matériel sont souvent dégradés ;
  • Les ustensiles ne sont pas bien nettoyés, les murs sont salis ;
  • Les détritus sont jetés partout dans la cour et les rues comme à l’intérieur des maisons, des salles de classe et des bureaux ;
  • Les matériels, équipements, édifices (mobilier, voitures, façades, clôtures, etc.) ne sont pas entretenus.

La liste est loin d’être exhaustive. En dehors des maisons et des écoles, le problème est encore pire dans les communautés urbaines. En effet :

  • Le code de la route, ce principe universel du vivre ensemble, est violé constamment et sans gêne ;
  • L’occupation anarchique des trottoirs, des rues et des lieux publics ;
  • L’abstention électorale élevée ;
  • La fraude fiscale presque généralisée ;
  • La montée de la délinquance et du banditisme, notamment dans l’aire métropolitaine ;
  • La difficulté de trouver des donneurs de sang et le mépris du bénévolat c’est-à-dire s'occuper des autres et du bien commun de façon désintéressée comme dans le Scoutisme.

Sur le plan légal

La Constitution Haïtienne de 1987 amendée stipule en son article 52-3 : « Il est établi un Service Civile Mixte obligatoire dont les conditions de fonctionnement sont établies par la Loi ». Pourtant, comme c’est le cas bien souvent, aucun texte législatif ni réglementaire n’a été publié jusqu’à présent en vue de mettre en œuvre ce dit Service Civile.

Il importe donc d’élaborer des plaidoyers, comme celui faisant l’objet de cette réflexion, en vue de parler aux responsables politiques et autres décideurs pour s'assurer que les questions d'intérêt général soit toujours inscrit au programme. Lorsque les élus écoutent ce que disent les citoyens, ils sont plus susceptibles de prendre des décisions qui vont dans le sens du bien-être collectif.

Avant d’envisager l’élaboration de ces textes législatifs et réglementaires, il parait donc opportun de considérer dans le cadre de cet exposé, certains aspects qui peuvent faire ressortir la problématique et les enjeux que pose la mise en œuvre d’un service civique en Haïti.

Objectifs

Les objectifs d’un service civique peuvent se résumer comme suit :

  • Contribuer à l’émergence d’une société d’individus responsables, solidaires et respectueux des différences, conscients de leur propre rôle dans la construction de la société de demain ;  
  • Permettre aux participants de réfléchir vers un enrichissement optimal de l’esprit ;   
  • Contribuer à améliorer la vie dans la société, pour plus de respect de l’être humain et de l’environnement, pour plus de justice sociale et de solidarité.

Principes

Les principes généraux sur lesquels peut se baser un service civique sont les suivants :

  • Promouvoir la citoyenneté active ;
    • Respecter les différences ;
    • Encourager le travail en équipe ;
    • Convaincre par l’exemple ;
    • Rester conséquent avec la mission assignée.    

Le service Civique doit faire l’objet d’un cadre spécifique, respecté par tous afin d’éviter toute équivoque et tout abus.   

Justifications

Le Service Civique implique les considérations suivantes :

  • Favoriser le dialogue intergénérationnel et doter le pays des moyens d’édifier des projets utiles et bénéfiques à tous, sans exclusive et à dimension humaniste ;
  • Permettre aux entreprises et associations privées d’avoir une responsabilité envers la société qui les entoure et qu’elles ont tout à gagner en contribuant au mieux-être de leur communauté ;
  • Offrir en priorité des stages au sein des entreprise avec le soutien de l’Etat, afin de renforcer le contact entre les entreprises et les jeunes ;
  • Associer concrètement le secteur privé dans un projet citoyen en contribuant au développement des jeunes, notamment la jeunesse estudiantine, et à leur insertion sociale au sein de la nation ;
  • Contribuer à la formation citoyenne, humaine et morale pour toutes les générations, et particulièrement pour des jeunes aux itinéraires divers et aux repères éducatifs, familiaux et culturels multiples ;   
  • Créer des voies propices à la jeuneuse pour leur permettre de vivre des expériences qui leur ouvrent d’autres horizons, tout en orientant les relations et les perspectives ;
  • Etablir des champs d’actions pour faciliter à la jeunesse la découverte de la valeur de l’engagement au service du collectif ;
  • Offrir aux jeunes un univers leur permettant d’expérimenter et d’apprécier un style de rapports humains différents de la discipline scolaire ;
  • Ouvrir aux jeunes des canaux appropriés leur permettant de combattre avec efficacité les préjugés et l’intolérance avec plus de sens de responsabilités individuelles, de civisme et de solidarité.

Choix préalables

Pour s’élever à la hauteur de ce projet réaliste et donner à tous les moyens de le mettre en œuvre à grande échelle, il importe de faire un certain nombre de choix et prendre différentes décisions (techniques, budgétaires, et logistiques, etc.).

Il faudra donc entre autres :

  • Décider, si l’on va commencer avec le service civique obligatoire ou plutôt passer par une étape intermédiaire en prévoyant un service civique volontaire, en tenant compte des ressources et des moyens disponibles ;
  • Déterminer si le service civique sera requis de tous ou uniquement des jeunes en précisant la tranche d’âge ;
  • Identifier les institutions qui doivent assurer la mise en place, la gestion du service civique et son développement à travers divers champs d’applications utiles ;
  • Etablir les mécanismes de financement du service civique ;
  • Préciser Ies tâches à accomplir dans le cadre du service civique, relatives :
    • Aux domaines d’intervention (par exemple, sports et loisirs, aide aux personnes handicapées, environnement, etc.) et d’autres thèmes (tels, éducation à travers des séances de sensibilisation, la gestion des risques, etc.) ;
    • Aux modalités de prise en charge en indiquant entres autres, les indemnités, les frais de transports et de repas ;
    • Aux types de travaux civiques, comme :
      • Des chantiers (rénovation d’infrastructures, collecte de détritus, curage, etc.)
      • Des animations (activités, jeux, prévention, accompagnement socio-éducatif)
      • Des séances de sensibilisation relatives à toutes les thématiques appropriées (environnement, citoyenneté, etc.) ;
      • Des organisations d’événements sportifs et socio-culturels. 

Actions

La mise en œuvre d’un service civique au sein d’une société va impliquer certaines actions indispensables dont :

  • Sensibiliser la société dans son ensemble, à la responsabilité individuelle de chacun d’entre nous, individus ou organisations.
  • Procéder à une première évaluation des besoins   et des missions à confier à un service civique s’adressant aux jeunes, à des actifs en congé au sein de l’entreprise ou de l’administration, comme à des seniors (en fin de carrière ou jeunes retraités).
  • Identifier les types de partenariat (comme par exemple, soutien de mission d’intérêt général, financement de campagnes de recrutement de jeunes, cofinancement de formation citoyenne et professionnelle de jeunes, cofinancement de campagnes et séminaires de sensibilisation sur des thèmes d’intérêt public et général.
  • Déterminer l’organisation de la structure d’accueil des membres du Service Civique.
  • Organiser les jeunes participantes(ts) en équipes de filles et de garçons de toutes origines sociales, culturelles et de tous niveaux d’instruction ;
  • Aider les associations de la société civile et des collectivités territoriales en mettant à leur disposition des équipes de jeunes adhérantes(ts).
  • Réaliser des missions de Service Civique auprès d’une association, d’une fondation, d’une collectivité territoriale (mairie, conseil départemental, etc.), d’un établissement public (hôpital, université ministères concernés, etc.).
  • Insérer et développer le service civil au sein des structures administratives et associatives existantes en charge des jeunes socialement fragilisés.

Conclusion

Pour mettre fin à cette réflexion, je vous référe à cette pensée qui dit :

« N’ayez pas peur d’élever votre voix pour l’honnêteté, la vérité et la compassion, contre l’injustice, le mensonge et la cupidité. Si les gens partout dans le monde le faisaient, cela changerait la terre. » William Faulkner

En outre :

  • Ce plaidoyer offre l’occasion de réfléchir sur le volet de l’insécurité ; car il ouvre la voie aux jeunes de bonne volonté à une participation active dans la vie de la nation, à travers un engagement volontaire susceptible d’apporter une réponse à certaines fractures culturelles et sociales majeures qui affectent aujourd’hui la cohésion sociale et intergénérationnelle dans le monde entier.
  • Le Service Civique doit constituer une mission pour chacun au service de tous avec le désir d’être utile, d’agir pour le bien collectif, d’aller à la rencontre des autres, d’explorer de nouveaux horizons, de développer ses compétences.
  • Le Service Civique doit donner des moyens aux jeunes, pas des leçons. Il n’est pas question de forcer la volonté d’engagement, mais simplement de créer le cadre reconnu et sécurisant qui catalyse le bien-faire.
  • Finalement, devant des générations aux visages multiples (bien plus diversifiées que les images médiatiques qui nous sont renvoyées), aux références diverses (religieuses, morales, politiques, etc.) et aux itinéraires (éducatifs, familiaux, culturels, etc.). Il faut tenir un discours qui soit vraiment une parole de conviction, une parole crédible pour la structuration des trajectoires individuelles et collectives, une parole sensée pour signifier que le service civique est « payant » pour une existence, quel que soit l’âge.

Edward Berrouet

Membre fondateur

Organisation Sauver Haïti, Sauver le Monde (OSHAM)

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