PLEINS FEUX SUR LE DILEMME HAITIEN
REGARD PROFOND SUR LA RÉALITÉ D’HAITI
Les derniers évènements qui ont marqué l’actualité haïtienne du début de l’année 2024, sont révélateurs du dilemme profond qui caractérise toute l’histoire du pays d’Haïti. A l’instar de nombreux auteurs et analystes, j’ai longuement réfléchi sur les aspérités de ce réel qui nous interpelle plus que jamais. Je suis parvenu à cette conclusion que :
‘’ La cause principale de tous les déboires de notre société aussi bien traditionnelle que moderne, est sans nul doute le manque de compréhension du réel à gérer. Dans diverses considérations émises par des décideurs politiques, religieux, économiques, il existe comme un refus quasi systématique de faire la part des choses, et de mettre tout en perspective pour parvenir à une juste appréciation’’. D’où la nécessité de développer une vision nouvelle à la dimension de l’histoire’’.
Notre Définition de l’être haïtien
‘’Produit escamoté d’une copulation multiforme’’
En effet, ‘’l’Afrique et l’Europe ont copulé, sans aucun ménagement, dans le lit des Tainos, sous le regard envieux d’une Amérique naissante, pour produire ce pays et ce peuple’’. Ce ‘’real social’’ est parvenu jusqu’à une codification légale qui demeure encore aujourd’hui, et qui a fini par intégrer nos référentiels communs.
- a) Deux sociétés : un monde urbain et un monde rural avec deux ‘’baptistères’’ (actes de naissance) à l’appui, celui du citadin et celui du paysan. (‘’moun lavil, moun andeyò’’)
- b) Deux cultures, la culture française et les mœurs africaines. Tout ceci avec des connotations sociales et religieuses inscrites dans le subconscient collectif : Dieu et Satan, civilisé et sauvage, supérieur et prolétaire, ‘’créoles versus bossales’’.
- c) Deux langues : le français adulé par les élites et reconnu comme symbole de supériorité, et le créole considéré comme un patois et parlé par tous les Haïtiens.
- d) Deux écoles : école classique, copie plus ou moins conforme du système scolaire français, et ferme école de campagne avec une orientation exclusive vers les activités agricoles.
- e) Deux religions : d’un côté, la religion chrétienne, catholique ou protestante, pratiquée par les élites dites civilisées, avec le culte du monothéisme et de la monogamie, et de l’autre côté, le culte du Vodou avec les loa et le plaçage.
Mélange, amalgame, méli-mélo, syncrétisme, dilemme haïtien ; l’Europe, l’Afrique, les Taînos, l’Amérique avec chacun sa vision.
- des êtres humains capturés, enchainés, déportés, réduits en esclavage mais passionnés de liberté qu’ils finissent par conquérir au prix du sang,
- un pays déclaré pauvre mais débordant de richesses,
- un peuple humilié mais toujours debout,
Voilà ce pays, voilà ce peuple. Et si l’on essayait de comprendre ! ‘’Ni rire, ni pleurer, mais comprendre’’, à la manière de Spinoza, sans jugement de valeur et sans dénigrement. Comment façonner une nation à partir de tant de contradictions. Ce pays est construit sur deux rails parallèles dont l’imbrication s’avère extrêmement difficile en dépit de la bonne volonté des uns et la tolérance des autres.
Quelques témoignages de patriotes avérés face à ce dilemme.
LE MYTHE ET LA RÉALITÉ
(Article de René Dépestre extrait du MONDE DIPLOMATIQUE, publié par la revue ‘’Tricontinental’’ en 1959 dans un recueil intitulé: Pour la révolution, pour la poésie)
La prodigieuse aventure historique d’Haïti s’est congelée dans les figures légendaires suivantes : fille aînée de la décolonisation, première république noire des temps modernes, le pays où la négritude s’est mise debout pour la première fois ! Ces belles images qui tout au début du dix-neuvième siècle étaient admirablement vraies ne peuvent plus conditionner l’idée que les Haïtiens se font d’eux-mêmes et de la place de leur nation dans le monde. Aujourd’hui, en effet, il y a un abîme entre la nation haïtienne « libre, indépendante et prospère », que Toussaint Louverture ou Dessalines, Christophe ou Pétion voulaient édifier et la « république noire » terrorisée, affamée, zombifiée, où la détresse de la condition humaine dépasse tout ce qu’on peut imaginer ou tout ce qu’on peut en dire. Les deux figures opposées d’Haïti — celle de la négritude jacobine du passé et celle de l’île-prison de maintenant — ont été amalgamées par le système totalitaire, et c’est la manière la plus atrocement caricaturale que notre pays incarne sa légende. Le beau rêve de jadis s’estchangé en un cauchemar sans rivages ! Et la « négritude haïtienne debout » est par le sang qui court, l’un des stéréotypes où s’alimente la mythologie du plus sinistre des sous-développements !
(...)Pourquoi plus d’un siècle et demi après avoir entamé son processus de libération, Haïti demeure-t-elle le pays le moins décolonisé du tiers-monde américain ? Cette question obsède douloureusement tout Haïtien patriote...
Les extraits suivants sont tirés de cet ouvrage collectif intitulé ‘Plus de 500ans d’histoire : où en sommes-nous ?’’, de la Collection ‘’Kiskeya Publishing Company’’ 2021. Potomac, Maryland USA. Ouvrage à lire absolument si l’on veut comprendre toute la problématique haïtienne.
‘’C’est (justement) parce qu’on a exclu le Vodou (de l’histoire d ‘Haïti) qu’il ne joue plus le rôle de pionnier comme dans l’acquisition de l’indépendance. L’exclusion de ce groupe (les Kongos) depuis 1806 a causé beaucoup de tort au pays. Renvoyer le Vodou au statut de pratique sataniste comme l’ont fait les églises évangéliques d’origine américaine, n’est qu’une autre manière de remettre en cause le bienfondé de l’émancipation haïtienne face à la tutelle coloniale d’hier et de la sphère d’influence occidentale et, en particulier, américaine aujourd’hui.
Par conséquent, le Vodou n’est pas un archaïsme dont il conviendrait de débarrasser la société haïtienne. Le Vodou n’est pas non plus la cause du sous-développement et un vestige obscurantiste, voire satanique. Le Vodou est le miroir d’une lutte politique commencée avec les cultes kongos du Lemba de François Makandal. Le Vodou fait symbole de la résistance à l’imposition forcée de la culture européenne’’.
Arsène Francoeur Ngangan
’' Colomb, jusqu’à la fin de sa vie, ne semble pas vraiment avoir compris qu’il avait initié un vaste génocide irréparable, que des peuples, des cultures et tout un Continent aurait été mis à feu et à sang, réduits en esclavage et massacrés au cours de la quête de l’or et des perles. Être chrétien et esclavagiste ne semblait contenir aucune contradiction, pourvu que l’on promît d’évangéliser les esclaves, même si on ne connaissait pas leur langue…
La démythification de 1492 (La Découverte d’Haïti) s’est avérée un devoir collectif qui a répondu à une nécessité pédagogique autant qu’à un impératif didactique. Elle se veut avant tout d’être une contestation plurielle irréductible et un témoignage qui milite contre l’amnésie tiers-mondiste et démissionnaire, en rappelant les millions d’êtres humains oblitérés sur l’autel du colonialisme, et enfin, une stratégie de réplique permettant de conserver dans la psyché collective les indescriptibles misères que la moitié de l’humanité a imposées à l’autre’’.(En effet, toute une politique d’extermination basée sur une métaphysique et une anthropologie déterministes, racialistes et racistes intimement liées à cet impitoyable ‘’pax europana’’ qui a édifié un nouvel ordre mondial génocidaire et qui a parfaitement exemplifié la sauvagerie de cette civilisation’’.
Frantz Atoine LECONTE
Il est fort à espérer que ces diverses réflexions puissent alimenter les nombreuses démarches de résolution de notre imbroglio sociopolitique actuel, en vue d’un futur radieux pour l’être haitien.
GTG/ avril 2020