De Montréal

Une domination planétaire démentielle

Qui aurait pu croire, ou même penser, que des êtres humains pourraient pousser leur méchanceté jusqu'à élaborer une monstrueuse planification, pour contrer par tous les moyens, toute stratégie de développement des pays qui s’évertuent à axer leurs priorités au bien-être de leur peuple? Quelques exemples, entre mille, illustreront parfaitement cette cruelle réalité, tout en apportant un nouvel éclairage sur la situation déplorable d’Haïti, qui paraît si inextricable à tous les niveaux.

         À l’issue de la deuxième guerre mondiale, les États-Unis d’Amérique détiennent 50 % de la richesse mondiale. Jamais au cours de l’Histoire, une puissance n’avait pu exercer un contrôle aussi écrasant sur la planète, ni jouir d’une telle sécurité. George Kennan, qui dirigea le personnel de planification du secrétariat d’État jusqu’en 1950, déclara : « Nous devrions cesser de parler d’objectifs vagues et irréalistes tels que les droits de la personne, l’élévation du niveau de vie, et la démocratisation. Nous devrions combattre une dangereuse hérésie qui se répandait à travers l’Amérique latine : l’idée selon laquelle le gouvernement est directement responsable du bien-être du peuple. Les planificateurs américains appellent cette idée : COMMUNISME, quelles que soient les vues politiques réelles des gens qui la défendent. Même s’il s’agit de sociétés de bienfaisance rattachées à une Église, si elles soutiennent cette hérésie, ce sont des communistes. Nous ne devrions pas avoir de scrupules devant l’exercice d’une répression policière par les gouvernements locaux. Cela n’a rien de honteux, vu que les communistes sont avant tout des traîtres. Il vaut mieux que le pouvoir soit exercé par un régime fort que par un gouvernement libéral indulgent, laxiste et infiltré par des communistes. Une pomme pourrie pouvait gâter le panier. Le danger c’est que la « pourriture » : un développement social et économique pouvait se répandre. »

          La domination du monde réclame d’énormes ressources financières. C’est le Chicago Tribune qui offre la piste idéale pour remplir les coffres de l’État. Voici la recette proposée. « Nous devrions être des mercenaires, payés par nos rivaux pour nos nombreux bons services, et utiliser notre puissance monopolistique sur le marché de la sécurité, afin de maintenir notre contrôle sur le système économique mondial. Nous devrions entretenir un racket mondial en vendant notre protection à d’autres puissances prospères qui nous alloueront une redevance de guerre. »

             Les lignes de cette planification une fois tracées, les États-Unis soutenaient une guerre en Grèce qui fit 160.000 morts en 1947. Une guerre totale avec torture, exil politique pour des dizaines de milliers d’autres. Démantèlement des syndicats, et des difficultés sans nombre mises en place, pour entraver toute politique indépendante. Ces actions livrent le pays pieds et poings liés aux mains des investisseurs américains et des oligarques locaux. Le même procédé fut appliqué au Japon.

              En Corée, en 1945, L’Armée américaine chassa le gouvernement populaire local, et elle organisa une répression brutale. Quelque 100.000 personnes furent assassinées. Selon les États-Unis, la menace primordiale contre le nouvel ordre mondial, était le COMMUNISME du tiers-monde. Il s’agit de régimes nationalistes répondant aux exigences populaires en faveur d’une amélioration immédiate du niveau de vie des masses, et d’une production axée sur les besoins domestiques. Les États-Unis ne sont disposés à tolérer les réformes sociales que lorsque les droits des travailleurs ont été supprimés et qu’un climat favorable aux investissements étrangers a été maintenu au Costa Rica. Le problème des vraies démocraties, toujours selon Kennan, est qu’elles sont susceptibles de tomber dans cette hérésie selon laquelle les gouvernements devraient répondre aux besoins de leur propre population, au lieu de favoriser prioritairement les intérêts des investisseurs américains.

            Pour favoriser cette politique au détriment des autres pays, des gouvernements parlementaires furent supprimés avec le soutien des Américains. Ce fut le cas en Iran en 1953, au Guatemala en 1954, en République Dominicaine en 1963, et 1965, au Brésil en 1964, au Chili en 1973 etc. Ce sont les pays les plus pauvres et les plus faibles qui sont visés le plus souvent. Aux yeux des Américains, plus un pays est faible et pauvre, plus il est dangereux en tant qu’exemple. Si un pays pauvre et minuscule peut réussir à procurer une existence plus descente à son peuple, un autre pays possédant davantage de ressources pourrait demander : « Pourquoi pas nous ? » La Grenade a justement servi d’exemple dans l’application de ce principe. En 1983, le président Maurice Bishop a sollicité l’aide de Cuba pour la construction d’un aéroport pour dynamiser l’industrie touristique en pleine expansion. Ce qui contribuerait pour beaucoup au relèvement de l’économie du pays. Les États-Unis interviennent. Le pays a subi une invasion militaire, et le président Bishop est assassiné.

             En février 1980, l’Archevêque de Salvador, Oscar Roméo, envoya une lettre au président Carter le suppliant de ne pas envoyer d’aide à la junte qui dirigeait le pays. Quelques semaines plus tard, l’Archevêque était assassiné alors qu’il disait la messe. Ce n’était pas assez au goût des Américains. On organisa un réel massacre. Des paysans, des syndicalistes, des étudiants, des prêtres, et tous ceux qui étaient soupçonnés de travailler pour les intérêts du peuple furent assassinés. Tous les journaux indépendants du Salvador qui auraient été en mesure de rapporter ces atrocités, auraient été détruits.

             Ici, écoutons Noam Chomsky dans son verbatim. « En 1988, une catastrophe naturelle frappa le Nicaragua, l’ouragan Joan. À cette occasion, nous n’envoyâmes pas un sou, et nous fîmes également pression sur nos alliés pour qu’ils envoyaient le moindre d’aide possible. Cet ouragan dévastateur avec ses perspectives bienvenues de famine et ses dégâts écologiques de longue-durée, épaula nos efforts. Nous voulions que le Nicaragua meure de faim de manière à pouvoir accuser les Sandinistes au pouvoir de mauvaise gestion économique. Parce qu’ils n’étaient pas sous notre contrôle, les Nicaraguayens devaient souffrir et mourir. »

            On conviendra que ces monstruosités sont plus éloquentes sous la plume d’un Américain. Laissons-le donc poursuivre. « Sous Reagan, le soutien à un quasi-génocide au Guatemala devint complètement hystérique. Le plus abject des Hitler guatémaltèques que nous ayons soutenus, Rios Montt, fut encensé par Reagan comme un homme totalement dévoué à la cause de la démocratie. Au début des années 1980, les amis de Washington massacrèrent des dizaines de milliers de Guatémaltèques, principalement des Amérindiens des hautes terres, et d’autres furent torturés et violés en nombres incalculables. Julio Godoy, un Guatémaltèque, écrit : « On est tenté de croire que certaines personnes de la Maison-Blanche adorent les dieux aztèques, lorsqu’elles offrent en sacrifice le sang de l’Amérique centrale. Tant que les Américains ne changeront pas leur attitude à l’égard de la région, il n’y a de place ici ni pour la vérité, ni pour l’espoir. » En lisant ces lignes, je sais que vous êtes en train de penser à Haïti qui se trouve exactement dans cette partie du monde.

           Indonésie. Le problème principal venait du Parti communiste qui ne cessait d’étendre son influence en défendant les pauvres dans le cadre du système en place. L’Ambassadeur des États-Unis annonça qu’il ne serait pas possible de vaincre le Parti Communiste Indonésien en ayant recours aux moyens démocratiques ordinaires. Il faudrait donc se résoudre à une élimination politique et militaire. L’objectif fut atteint lorsque, avec le soutien américain, le général Suharto prit le pouvoir en 1965. Organisés par l’Armée, des massacres liquidèrent le P.C.I. et débouchèrent sur ce qui, de l’aveu même de la CIA, serait : « l’un des pires meurtres de masse au XXe. Siècle, comparable aux atrocités de Hitler, Staline et Mao. Environ 500.000 personnes furent tuées en quelques mois. »

            Panama. À la mort du général Omar Torrijos Herrera en 1981, on pleura partout dans le pays. Il s’était fait une réputation de défenseur des pauvres et des faibles. Son avion explosa en plein vol. Son crime, aux yeux des Américains, il a osé initier le processus de transfert du contrôle du Canal de Panama. Après cette exécution, le pays est condamné à traverser une période de troubles politiques qui dureront environ deux ans. En 1983, Manuel Antonio Noriega, un collaborateur de la CIA et trafiquant de drogue, devient Chef des Forces Armées. Celui-ci provoquera la colère des Américains, en refusant de se soumettre à leur diktat. Le 20 décembre 1989, les États-Unis attaquèrent le Panama en lançant la plus grosse attaque aérienne commise sur une ville depuis la Deuxième guerre mondiale. Le président Noriega est arrêté et traduit devant un juge américain qui le condamne à 40 ans de prison.

            Après cette invasion, le président Bush annonça une aide d’un milliard de dollars. De cette somme, 400 millions de dollars consistaient en encouragements aux entreprises américaines pour qu’elles exportent des produits au Panama. 150 millions étaient destinés à acquérir des emprunts bancaires, et 65 millions allaient à des prêts au secteur privé et à des garanties aux investisseurs américains. En d’autres mots, tout le montant était un cadeau des contribuables américains aux hommes d’affaires de leur pays. Que dit la Presse à ce joli tour de passe-passe ? Pas un mot. La politique ! C’est un univers particulièrement scabreux, où les idéalistes enterrent leurs illusions perdues. Un dernier mot de Noam. « Le tiers-monde doit apprendre que personne ne doit redresser la tête. Le gendarme de la planète poursuivra sans relâche tous ceux qui commettent ce crime inqualifiable. » En ce qui nous concerne, nous ferons valoir que rien n’est éternel ici-bas. Les puissances s’élèvent et s’abaissent tôt ou tard, pour permettre justement aux faibles de relever la tête.

          Aujourd’hui, le peuple haïtien est pris dans un infernal étau. D’un côté se dressent les plus ignobles ordures sociales de l’humanité : les oligarques, les scélérats de tous poils, et les politiciens corrompus. De l’autre côté : les États-Unis d’Amérique, véritable maître-d ’œuvre de la tragédie haïtienne, qui bloquent obstinément la restructuration et l’armement des Forces Armées d’Haïti, qui pourraient seconder adéquatement la Police dans ses combats quotidiens contre les bandits. Pourquoi ? Vous avez sans doute la réponse.

Prof. Gérard Gène

Réf. 1) Banque Suisse. 2) Noam Chomsky : Les dessous de la politique de l’Oncle Sam, et Manière de voir, du même auteur. 3) Wikipédia. 4) Claude Julien : L’Empire américain.

Leave a Reply

This site uses Akismet to reduce spam. Learn how your comment data is processed.